Tout d’abord, il est important de comprendre qu’il est humainement impossible d’être toujours disponible, agréable, calme. Nous avons tous des seuils, qui, une fois dépassés, peuvent nous faire devenir « une personne potentiellement désagréable voire agressive ». Que se passe-t-il dans ces moments-là ? J’utilise souvent l’échelle de la disponibilité*, que je vous laisse découvrir ci-dessous, pour expliquer le phénomène.

Ce que nous voyons dans cette échelle, c’est qu’il y a différentes étapes, allant du vert au rouge. Lorsque nous sommes fatigués, irrités, agressés… nous pouvons sentir que nous approchons du rouge de l’échelle : nous perdons notre disponibilité pour l’enfant.

Je travaille en crèche et je donne souvent l’exemple suivant pour expliquer les différentes étapes que l’on peut vivre dans notre expérience de la disponibilité, lorsque l’on s’occupe d’un enfant :

C’est un jour de crèche comme un autre, c’est la fin de la journée, nous sommes dans le jardin de la crèche avec les enfants. Les enfants courent, crient, certains sont agités. Tout au long de la journée, nous avons porté, câliné, cherché les doudous égarés, mouché des nez, lu plusieurs fois les mêmes histoires, médiatisé des conflits, évité de multiples crises en déployant des trésors de diplomatie parce que : « il a cassé ma tour ! il a pris mon jouet ! il ne veut pas jouer avec moi ! etc. ». Comme souvent en fin de journée, les enfants commencent à être fatigués, les adultes aussi. Et cerise sur le gâteau : j’ai mal à la tête.

Au milieu de toute cette vie de crèche, il y a Jules. Jules a 2 ans et demi et il a trouvé un bâton. Il faut s’imaginer que trouver un bâton, quand on a 2 ans et demi, c’est merveilleux.
Jules est en pleine exploration avec son bâton : il fait glisser le bâton contre le grillage du jardin de la crèche. J’imagine comme ce doit être chouette pour lui de faire ça. Le bâton tremble en passant sur la grille, cela lui fait plein de sensations dans la main et le bras. Et puis Jules commence à taper avec son bâton sur le grillage, il continue son exploration. Taper sur une grille avec un bâton lorsqu’on a 2 ans et demi, c’est vraiment une belle expérience ! En plus, Jules se rend compte qu’en fonction des endroits de la grille où il tape, et selon la force avec laquelle il tape, cela ne fait pas le même bruit. Du coup, Jules tape de plus en plus fort sur la grille. Ce moment est primordial pour lui : tous ces moments d’exploration, qui nous semblent anodins, aident le cerveau de l’enfant à grandir et à se développer.

Sauf que Jules commence à taper très fort sur le grillage et de plus ; certains enfants passent près de lui et Jules risque de les blesser avec son bâton.  Je dois donc intervenir pour permettre à Jules de continuer son exploration sans blesser personne, ni abîmer la grille. Je m’approche donc de Jules pour lui redonner les consignes de la crèche : « Tu te souviens Jules, il y a une règle à la crèche, on doit prendre soin du matériel, et là tu tapes très fort avec ton bâton. Et puis, il y a tes copains à côté, tu peux leur faire mal ; essaie de trouver autre chose à faire avec ton bâton ». Jules me regarde l’air renfrogné mais s’éloigne de la grille et commence à gratter la terre avec son bâton… Ce qui dure deux minutes car très vite, il recommence à taper sur la grille. Je comprends que c’est beaucoup moins intéressant de gratter la terre que de taper sur une grille! De nouveau, même si c’est important que Jules explore, je ne peux pas le laisser risquer de blesser les autres enfants, je reviens donc vers Jules en lui disant que j’imagine comme ce doit être super pour lui de taper sur la grille mais c’est un peu dangereux, donc je lui propose de me donner le bâton. Évidemment Jules ne veut pas me donner son bâton ! Même si Jules est encore petit, je lui propose de choisir : « Jules, comme je vois que c’est très difficile pour toi, tu peux choisir, soit tu essaies de faire autre chose, soit je reprends le bâton, qu’est-ce que tu choisis ? » Jules me regarde, et tout en me regardant, se met à taper de nouveau sur la grille. « Ok Jules, je vois que tu as choisi, c’est trop difficile pour toi de t’arrêter donc je vais prendre le bâton ». Je prends donc le bâton en ayant conscience que cela va créer une grande frustration pour lui. En effet, lorsqu’il  se rend compte que le bâton n’est plus dans sa main, il se met à hurler !

Je vous rappelle que je suis fatiguée, que j’ai mal à la tête, que c’est la fin de la journée. Malgré tout, je me mets à sa hauteur pour l’aider à supporter ce moment difficile mais Jules continue à crier en essayant de reprendre le bâton : « ok Jules, je vais d’abord ranger le bâton ». J’essaie donc d’éloigner de Jules la source de la frustration, et de m’accorder un moment pour respirer un peu aussi. Jules me suit et essaie de me taper. Je m’arrête, je me mets à sa hauteur pour prendre un temps avec lui mais Jules essaie de me griffer le dessus des mains… Évidemment,  je me sens agressée. Disons qu’à ce moment-là, avec la fatigue de la fin de la journée, je sens que je pourrais atteindre très vite le seuil « personne potentiellement désagréable voire agressive » ; je suis à la limite de passer « du côté obscur de la force » comme me disait un papa une fois… Bref, j’approche dangereusement du rouge de l’échelle de la disponibilité. Je vois s’élever une pensée du type : « Attraper fermement Jules, le poser dans un coin, lui expliquer avec un ton assez désagréable qu’il n’a pas le droit de taper, que maintenant ça suffit ! Qu’il pourra revenir jouer quand il sera calme ! ». Je laisse passer la pensée et je ne le fais pas…

À ce moment-là, voici ce qui me permet DE NE PAS « basculer » :

  • Je sais que cela ne sert à rien, je le sais de façon intellectuelle mais aussi parce que j’en ai fait l’expérience : Jules vit un moment très difficile et ce n’est pas en lui criant dessus ni en l’isolant que cela va l’aider ; au contraire, cela risque de créer une véritable crise qui va me demander encore plus d’énergie. Ou alors cela va le sidérer et du coup stopper net la crise mais seulement pour en armer une nouvelle, plus tard.
  • Je sais que Jules m’aime bien, il sait qu’on n’a pas le droit de taper, nous avons un bon lien tous les deux, et je sais que lorsqu’on attaque quelqu’un qu’on aime bien, c’est qu’on va vraiment très mal.
  • Je sais que crier et isoler Jules me donnera peut-être une sensation de soulagement sur l’instant mais je vais me sentir très mal après et lui aussi !
  • Je vois que Jules a grandement besoin d’explorer et qu’il ne fait pas cela pour m’embêter.
  • J’ai un rôle éducatif auprès des enfants, et je veux utiliser cette situation pour apprendre à Jules qu’il est possible de supporter la frustration, or si je le stresse, il n’apprendra rien.
  • Et puis, je risque d’abîmer le lien avec lui en faisant cela, et je veux garder un bon lien avec les enfants parce que je sais que c’est ce lien aux adultes qui aident les enfants à bien grandir.

Je sais tout ça, mais j’ai besoin de quelques secondes pour retrouver de l’empathie pour Jules. Je sens que son comportement m’insupporte et que j’ai besoin d’être un peu empathique avec moi-même avant de le redevenir auprès de lui. En effet, il est normal, lorsqu’on se sent agressé, de se sentir moins empathique. Je me lève donc une seconde fois pour aller ranger le bâton et respirer. Jules me suit à nouveau en essayant de m’agripper. Je respire profondément… je sens que c’est difficile mais un petit peu de disponibilité refait surface, alors je m’assois à sa hauteur, et je lui dis que je vois que ce qu’il vit est très difficile et que je peux le prendre dans mes bras s’il en a besoin. Jules se jette alors dans mes bras, il me sert fort, je sens les tensions de son corps se relâcher. Cela prend peut être quinze secondes. Puis Jules me regarde, je lui propose de m’aider à ranger le bâton. Il est très fier de m’aider, réussit à dire au revoir au bâton… La frustration est traversée, il repart jouer, tranquillement.

Concrètement, oui, cela m’a demandé une énergie certaine pour rester disponible et empathique alors que je me sentais agressée. Mais la satisfaction est tellement grande lorsque l’échange se finit de cette manière ! Je sais que ça vaut la peine de prendre ce temps et de puiser dans son énergie pour mettre en place ce type de soutien, quand on se sent dans  la tempête.

L’idée ici n’est pas de montrer comment il faut faire, chacun aurait pu avoir d’autres idées, d’autres réponses, tout aussi aidantes. L’idée ici est de partager les différentes étapes que nous pouvons vivre lorsque nous devons aider un enfant à traverser une émotion désagréable.

Soutenir les enfants avec les émotions difficiles serait un peu comme un entrainement, où il est important d’être indulgent avec soi-même. Parfois on se trompe, on ne trouve pas de solution, on essaie, on se réadapte, et puis parfois on trouve de l’énergie alors que l’on pensait être complètement épuisé.

C’est une période difficile pour beaucoup de parents, qui demande beaucoup de courage et d’énergie. Nous sommes de tout cœur avec vous.  N’oubliez pas d’être empathiques et bienveillants aussi envers vous-même, ne vous jugez pas trop durement ; si vous le pouvez, ne vous jugez pas du tout. Bref, faites au mieux, ce sera déjà très bien.

Nous vous rappelons que nous mettons à votre disposition des permanences conseil téléphoniques gratuites pour vous écouter.

 Zoé PENAU, psychologue

*L’échelle de ma disponibilité : Crédit Laetitia Marre à retrouver sur le site cnv-apprentiegirafe.blogspot.com

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