La grossesse est une crise développementale, c’est-à-dire qu’elle vous fait passer d’un état à un autre. Mais elle ne se produit pas uniquement dans le corps : pendant que bébé se développe dans votre ventre, vous construisez une nouvelle part de vous dans votre tête. C’est le phénomène de « grossesse psychique ». Tout comme votre corps se modifie pour laisser place au bébé, votre psychisme se modifie pour laisser place à vous-même en tant que mère de ce bébé. Pour vous y aider, vos émotions, vos perceptions vont devenir plus sensibles. Vous percevrez des choses qui jusqu’alors vous étaient égales, et réagirez parfois de façon exagérée ou inappropriée à des petits événements du quotidien. Cet état se nomme la « transparence psychique ». Il vous permet de mettre de l’ordre dans votre esprit en remettant d’actualité des conflits que vous aviez jusqu’alors mis de côté, dans le but de les régler et être ainsi entièrement disponible pour votre bébé.
« Quand Bruno m’a demandé ce qu’on allait manger ce soir, je me suis mise à pleurer. Cela m’a rappelé quand mon père criait sur ma mère lorsqu’elle avait cuisiné quelque chose qui ne lui plaisait pas. »
« Du jour au lendemain, je ne supportais plus la présence de ma mère. Voir son numéro s’afficher sur mon téléphone me mettait en colère sans que je ne puisse expliquer pourquoi. »
Durant le premier trimestre, il peut être délicat pour une future maman de s’investir dans cette grossesse et d’imaginer son bébé. Puis petit à petit, notamment lorsque vous commencez à le sentir bouger, sa présence devient plus concrète, perceptible, et vous aide à le faire exister dans votre psychisme. On parle alors du « bébé imaginaire » à qui, vous et l’entourage, prêtez des compétences, un caractère, des intentions :
« Il me donne toujours des coups de pieds quand je fâche son père, ils sont déjà solidaires. »
« Elle n’est toujours pas née ? Elle sait se faire désirer cette petite. »
Grâce à cette ébullition mentale, votre bébé commence à faire sa place dans la famille. Puis à partir du septième mois, vous pouvez sentir que votre bébé a déjà son propre rythme, qu’il se met à bouger lorsque vous dormez par exemple. Les projections que vous faisiez jusqu’alors peuvent diminuer, vous pouvez en avoir marre d’être enceinte, être pressée de le découvrir, avoir peur. C’est le signe que le bébé imaginaire qui occupait votre esprit jusqu’à présent, laisse la place au « bébé réel ». Un bébé qui n’est pas forcément comme on le rêve, qui est différent de soi. Ce processus permet de faciliter la rencontre qui aura bientôt lieu.
Ce moment peut aussi être source d’angoisse concernant l’accouchement, votre capacité à être mère, les changements à venir dans le quotidien. Tous ces éléments activent les besoins d’attachement : vous vous sentez en état d’insécurité émotionnelle, ce qui vous pousse à chercher le réconfort et donc la sécurité émotionnelle auprès de personnes plus sages et expérimentées. Etre soutenue par des personnes d’expérience, qu’il s’agisse des professionnels de santé ou de votre entourage, est primordial durant la grossesse. Une femme enceinte bien entourée, se sent en sécurité émotionnellement, et donc pourra exprimer plus facilement son « caregiving » (apporter les soins dont aura besoin le bébé). La réalisation de l’entretien prénatal précoce avec le professionnel de santé assurant votre accompagnement (sage-femme, gynécologue, obstétricien, médecin généraliste) permet de vous offrir un espace d’écoute en vue de construire un « berceau » sécurisant autour de vous.
« Pendant ma grossesse, je ne voulais côtoyer que des femmes enceintes. »
« Ma grossesse m’a permis de discuter avec les autres femmes de ma famille, pour qu’elles me racontent leurs aventures de maternité. »
Devenir mère, notamment d’un premier enfant, c’est changer de statut générationnel : on passe de fille à mère, les parents deviennent grands-parents etc. Ce peut être l’occasion de modifier les liens qui existaient jusqu’alors. Vous pouvez aussi vous demander ce que vous allez faire en tant que parent : reproduire ce que vous avez connu, faire le contraire, innover ?
« En parlant avec d’autres mères, je me suis rendue compte que je voulais garder mon bébé auprès de moi la nuit alors que toutes les femmes de ma famille laissaient leur bébé seul dans une chambre. »
« J’ai discuté avec ma tante qui regrette d’avoir accouché avec la péridurale et de ne pas avoir eu le choix. Je crois que je vais y réfléchir pour choisir la façon dont je veux donner naissance. »
Durant votre grossesse, vous pouvez vous sentir uniquement concernée par votre bébé et vous-même, et indifférente envers votre entourage. Cet état qui atteint son maximum autour de la naissance, se nomme la « préoccupation maternelle primaire ». Il vous permet d’être en situation d’hypersensibilité afin de vous adapter aux besoins de votre bébé avec sensibilité et délicatesse. C’est un processus biologique qui vise la survie de l’espèce.
« Quand les gens me parlent, je ne les écoute pas vraiment, je suis avec mon bébé, la main posée sur mon ventre. »
« Vers la fin de ma grossesse, je n’avais plus envie de travailler alors que j’adore mon métier. J’avais juste envie d’être avec ma famille. »
La naissance d’un premier enfant représente un stress de 4/6, comme le mariage (un stress de 6/6 correspondant au décès d’un proche). La fatigue qui suit l’arrivée d’un enfant est comparable à un burn-out, c’est pourquoi il est primordial d’être soutenu lors des premiers mois. Un soutien pratique (courses, ménage, repas) et qui laisse en même temps assez d’intimité au couple parental en construction pour établir des liens avec le bébé et de nouveaux repères entre eux, est ainsi très appréciable. Vous pouvez vous orienter vers le Centre de Protection Maternelle et Infantile de votre secteur pour bénéficier de leurs services.
Face à l’arrivée de bébé, 50 à 80 % des femmes traversent le fameux « post-partum blues ». C’est un phénomène purement adaptatif, lié aux modifications hormonales suivant l’accouchement, qui permet de « faire le deuil » du bébé imaginé et de l’état particulier de grossesse, pour investir complètement le bébé réel et cette nouvelle vie. Il se caractérise par de la fatigue, une humeur labile, de l’anxiété, de l’irritabilité :
« Je me sens fatiguée. »
« Je peux presque rire et pleurer en même temps tellement je change d’humeur. »
« J’ai peur pour mon bébé. »
« Je m’énerve facilement. »
Cet état émotionnel inconfortable dure de 3 à 10 jours après l’accouchement, et doit rester transitoire et peu fort.
Si cet état persiste, s’intensifie, il peut s’agir de « dépression postnatale » :
« Je suis inquiète tout le temps pour mon bébé. »
« Je me sens responsable de tout. »
« Je n’arrive plus à sourire. »
« J’ai peur de tout, je ne peux pas m’arrêter de réfléchir. »
« Je me sens dépassée. »
« Je me sens triste, malheureuse, je pleure beaucoup. »
« Je pense à me faire du mal »
Si vous vous reconnaissez dans cette description il est important d’aller consulter un professionnel spécialisé en périnatalité (psychologue, psychiatre). En effet l’état dépressif complique le processus d’attachement puisqu’il rend le parent indisponible psychiquement et émotionnellement pour son bébé : vous continuez à effectuer les gestes du quotidien mais le cœur et la tête n’y sont plus. Les effets de cette indisponibilité amènent le bébé à trouver des stratégies (cris, repli, évitement de la relation) qui compliquent grandement son développement. Un rendez-vous suffit parfois à débloquer cet état de figement dans lequel vous plonge la dépression, et de vous rendre à nouveau disponible psychiquement et émotionnellement pour votre bébé. Les professionnels de la périnatalité connaissent bien cette complication obstétricale, qui est l’une des plus fréquentes bien qu’elle soit peu souvent évoquée, et peuvent vous aider à retrouver vos habiletés de parent qui sont entravées par la dépression. Les bébés étant très « souples » psychiquement, ils bénéficient rapidement des soins apportés à leurs parents et peuvent retrouver un développement harmonieux.
Le partenaire a un rôle essentiel mais pas toujours confortable dans ce processus de grossesse psychique. En effet son corps ne change pas (sauf dans le cas de ce que l’on nomme la « couvade »), pourtant des remaniements psychiques peuvent aussi s’engager. Faire des choses concrètes, préparer le nid matériellement, permet de se sentir utile et reconnu dans cette période où le partenaire se sent souvent démuni face à sa nouvelle compagne en construction.
Construire le nid dans sa tête, devenir mère psychiquement, c’est un peu comme avoir déjà accouché, secret des dilatations rapides que les sages-femmes connaissent.
Quelques phrases de femmes enceintes :
« Je suis heureuse d’être enceinte mais je ne me sens pas prête. »
« J’ai l’impression d’être plus forte que jamais. »
« Je me sens mal dans ma peau, grosse, différente. »
« J’ai du mal à me reconnaître, j’ai des réactions bizarres. »
« Je me sens plus proche de ma mère. »
« Je ne veux plus être en contact avec ma mère. »
« Est-ce que je serai une bonne mère ? »
« Comment sera mon bébé ? »
« Je n’éprouve rien de spécial pour ce bébé. »
« Je n’arrive pas à imaginer mon bébé. »
« J’ai peur de l’accouchement. »
« Ce bébé va tout réparer dans ma vie. »
« Ce bébé va chambouler toute ma vie. »
« Est-ce que mon partenaire m’aime toujours ? »
« Est-ce que j’aimerai ce bébé ? »
« J’aime plus mon conjoint que mon bébé. »
« J’ai peur qu’il arrive quelque chose à mon bébé. »
Même quand ça va bien, être entourée durant la grossesse est un facteur protecteur, pour vous et votre bébé. A la moindre question, au moindre doute, allez demander de l’aide, du soutien aux personnes en qui vous avez confiance. Cette période émotionnelle très intense nécessite des liens et un soutien tout aussi intenses.
Marie PROERES, Psychologue